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Photo du rédacteurJohanna Q.

Le chemin de la reconstruction



4 mai 2019. Voilà un mois que le cœur de mon bébé a été arrêté et qu’une partie du mien a été arraché. Quatre semaines que je ne reconnais plus mon corps, la perte de poids a été brutale après l’accouchement, mon ventre est désespérément vide et plat, je cherche encore ma fille sous mon nombril, mes muscles sont affaiblis et flasques faute d’activité physique, mon regard est triste, ma bouche est contractée par le chagrin, mes épaules sont affaissées par le poids de la culpabilité, ma nuque et mon dos tendus par la pression. Tout mon corps est un exutoire au choc émotionnel, au traumatisme physique et psychologique que j’ai vécu un mois plus tôt. Nous n’avons revu aucun ami ni membre de la famille depuis début avril, aucune invitation, aucune visite, les coups de fil se font rares, très rares. Mon conjoint a repris le travail le lendemain de la crémation et sa vie sociale avec, moi je vis isolée, recluse sur mon canapé dans un coin du salon comme abandonnée dans un profond puits de chagrin sans aucune échappatoire à ma détresse.

Heureusement une de mes amies qui vit à plus de mille kilomètres a posé des jours cette semaine pour venir me tenir compagnie en cette période si difficile. Ces quelques jours ensemble me permettront de retrouver l’ensemble de mes capacités physiques et psychiques, de quitter progressivement mon état dépressif et de me reconnecter à la réalité. Je ne sais pas si c’est Angelina qui a envoyé Marie pour m’aider à aller mieux, la seule certitude est que cette amie remarquable porte bien son prénom ‘celle qui élève, celle qui éclaire’. Son parcours résonnera fortement en moi de manière totalement inconsciente le jour de notre balade à vélo bleu et me transformera profondément au-delà de toutes mes espérances.


Pour la petite histoire, je ne suis pas une adepte du vélo, je n’en ai jamais acheté un c’est pour dire le peu d’intérêt que je porte à ce mode de déplacement. Pourtant, ce matin du 8 mai, j’éprouve un désir inattendu de louer un vélo bleu avec Marie. Comme c’est une grande première pour nous deux, Davy nous accompagne à la station la plus proche pour nous expliquer le fonctionnement de la location des vélos en libre-service. Chacune installée sur sa bicyclette, nous pédalons, non sans mal, sous un beau soleil azuréen le long de la Méditerranée. Marie et moi sommes liées à travers notre parcours représenté par la piste cyclable. En effet, nous avons toutes les deux perdu quelque chose de manière brutale à la suite d’une intervention hospitalière qui a fracassé notre identité, une partie de nous existe encore, une autre est perdue à jamais, et une partie inconnue s’est greffée à chacune d’entre nous. Marie s’est faite opérée du bypass l’année précédente pour lutter contre une surcharge pondérale, sa perte de poids a été très rapide et impressionnante, son corps s’est radicalement transformé. Elle est devenue incontestablement une jeune femme mince, qui rentre dans un petit 34 et surtout dans les normes de la société. Moi je suis devenue officieusement une mamange qui ne rentre dans aucune case dont le statut n'est pas reconnu par la société. Nous devons composer avec notre nouvelle identité.



Ce qui s'annonçait être une petite balade entre copines ponctuée de pauses régulières pour admirer le panorama (cf photographie) se révèle être une course effrénée contre nous-mêmes, contre ce nouveau corps qui nous rappellent notre perte (de poids/d’un bébé). Nous cheminons à vélo bleu dans la même direction là où la vie, la mort et la maladie s’entremêlent. Nous souffrons physiquement à cause de nos muscles fondus qui peinent à faire avancer le vélo, des douleurs aigües nous lancent aux fesses à cause de la selle peu confortable, des courbatures tenaces nous tiraillent les cuisses, nos bras se titanisent de douleur, mais nous tenons jusqu’au bout dans le seul but de dépasser notre souffrance psychologique. Les cyclistes avérés nous doublent sans effort, les jeunes en roller passent devant nous avec aisance, certains joggers confirmés avancent à la même allure que nous. Haletantes et fatiguées, nous maintenons notre rythme, et parvenons avec beaucoup d’amusement et de complicité à doubler une mamie avec son petit chien confortablement installé dans le panier du vélo électrique de sa propriétaire. Quelle petite victoire réjouissante pour nos corps exténués!

Arrivées au bout de la promenade des Anglais, nous sommes très fières de la distance parcourue, je ne parle pas seulement de cette douzaine de kilomètres qui nous séparent du centre de Cagnes-sur-Mer, mais bien de tout ce que nous avons traversé avant et après notre intervention hospitalière. Bien sûr, le chemin à parcourir vers la reconstruction est encore long et complexe. A cet instant, je sens que des jours meilleurs m’attendent, que ce beau soleil de printemps finira par réchauffer mon cœur meurtri et m’apporter un peu plus de douceur.


Au moment où Marie et moi nous prenons en photo devant la structure # ILoveNice, je prends conscience de ma force physique et psychologique. J’ai déposé ma douleur, mes angoisses, ma détresse dans le panier du vélo bleu sur le bout de la Promenade des Anglais, à l’endroit même où un drame sans précédent s’est produit trois ans plus tôt. Nous nous asseyons sur une des chaises bleues qui longent la mer, j’en profite pour contempler le ciel et fais la promesse à mon enfant face à la Baie des Anges de ne pas replonger dans la dépression, de garder cette énergie positive par la pratique régulière du sport, de reprendre goût à la vie, de sourire et rire plus souvent, de réinvestir ce monde dont je ne voulais plus faire partie. Je souhaite de tout mon cœur que ma fille décédée dans mon ventre soit fière de moi depuis son étoile et dise aux autres petits anges 'Regardez cette femme incroyable, c’est ma maman !’.



J’ai bien conscience d’être sortie rapidement de la dépression grâce à l’amour de mon mari et de mes enfants, mais aussi et surtout, avec le recul, grâce à une amitié forte et sincère qui a favorisé ma résilience et m'a aidé à lutter contre mon désespoir.


Alors merci à toi Marie, mon amie bienveillante et courageuse, d’être venue m’apporter ton soutien et ton amour au moment où j’avais le plus besoin d’espoir et de chaleur humaine. Tu as été ma lumière, mon guide, juste par ta présence. Tu as su m’apporter, en seulement quelques jours, le parfait équilibre entre une légèreté nécessaire aux activités divertissantes et le sérieux d’une écoute attentive à mon chagrin incommensurable.


Et merci à toi ma douce Angelina de m’avoir donné les ressources physiques et mentales essentielles pour dépasser ma profonde détresse émotionnelle. J'ai senti ta présence tout au long de cette journée, ta force m'a porté à un endroit que je n'imaginais pas atteindre aussi vite, sur le chemin de la reconstruction. Merci à toi de veiller sur moi comme tu le fais si bien.


A toi Angelina, mon ange, mon étoile la plus brillante, mon éternel amour.

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