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Interview Aude Ceccarelli, vingt-neuf semaines et des poussières d'étoiles


L'écriture permettrait de se reconstruire face au drame. Qu'en est-il de ces parents qui ont vécu la tragédie de la perte d'un bébé ? Pourquoi ont-ils décidé d'écrire leur histoire? Quels messages ont-ils souhaité passer à travers leur témoignage?


Chaque mois, sur ce blog à la rubrique 'Rencontre littéraire', vous retrouverez l'interview intégrale de l'auteur d'un ouvrage sur le deuil périnatal.



Présentation


Aude Ceccarelli nous raconte la réalité de la tragique expérience de l'interruption médicale de grossesse au moment où elle pensait accueillir la vie. C'est un témoignage rédigé avec beaucoup d’authenticité porté par une écriture ciselé, l'autrice a su trouver les mots justes, percutants et pudiques pour décrire la réalité de la décision profondément injuste de l'IMG, une décision qui bouleverse la vie d'une femme, d'une mère et de toute un famille, vécue dans une douleur indicible. Comment accepter l'inacceptable ? Comment se reconstruire après la naissance sans vie de son enfant ? Tant d'interrogations, de questionnements auxquels sont confrontés des milliers de parents endeuillés chaque année.


Un vrai talent d’écriture de Aude Ceccarelli qui donne envie de lire son livre d'une traite.


A propos de ton parcours


Quelle est la composition de ta famille? Comment est venu ton désir d'enfant, ton projet de grossesse?

Je suis maman de deux garçons, qui ont maintenant 9 ans et 10 ans. L'enfant qui aurait dû naître aurait été le troisième garçon. Il s'appelait David. Aujourd"hui, il aurait 7 ans.


A quel terme s'est arrêtée ta grossesse? Que s'est-il passé?


J'ai dû interrompre ma grossesse à 29 semaines. Le bébé que j'attendais avait des malformations fœtales. J'ai sollicité une IMG (une interruption médicale de grossesse).



Peux-tu nous décrire la manière dont l'équipe médicale t'a accompagné ? Quelle place a été accordée à ton conjoint dans cet accompagnement?

J'ai été bien accompagnée, même si dans ces circonstances-là, ce n'est jamais assez... On est très fragile dans ces moments-là, on ne sait plus... Jamais assez d'empathie, d'écoute, de soutient, on est très en colère et on en veut à la terre entière. J'ai bénéficié d'une aide psychologique de quelques séances au sein de l'hôpital. Les médecins de ville m'ont beaucoup aidée et écoutée, aussi. Avant l'interruption de grossesse, pour prendre la décision, et des mois après. Mon cas était un peu particulier car quand j'ai décidé d'interrompre ma grossesse, j'étais expatriée en Asie centrale (au Kazakhstan). Je suis rentrée en France pour réaliser des examens complémentaires (cordocentèse, en particulier). Mais globalement, j'ai été soutenue par toute l'équipe d'obsétriciens, d'anesthésiste, de sage-femmes de l'hôpital. Une IMG n'est jamais anodine, même pour le corps médical. C'est après que cela est difficile, lorsqu'on est seul avec soi-même. Les mots des autres n'y peuvent rien. Ils sont tous maladroits.


Mon mari a été très présent dans ces circonstances. C'était une décision commune.



Comment s'est passé l'accouchement ? Le retour à la maison ?


Accouchement classique, par voies basses, avec péridurale. Mes deux autres enfants sont nés par césarienne, donc c'était nouveau pour moi. Dans mon livre, je raconte que mon âme, mon corps et mon cœur était complètement sous anesthésie. Quelques heures plus tard, l'enfant est né. Je l'ai tenu dans mes bras quelques instants, sur les conseils de l'équipe médicale, c'est la sage-femme qui me l'a amené. Elle l'avait habillé avec des vêtements "grand prématuré" que j'avais acheté pour lui. J'ai connu l'enfant quelques minutes, avant de lui dire au revoir. Je ne regrette pas ce moment. Ensuite, l'équipe médicale m'a remis sous pli une photo de l'enfant et ses empreintes (mais et pieds). J'ai ouvert cette enveloppe 4 ans après. Je ne pouvais pas.


Pendant tout l'accouchement, j'ai été soutenue par l'anesthésiste, le professeur qui suivait ma grossesse "à risque", les sages-femmes et bien entourée par l'équipe médicale. Je ne suis restée que deux nuits à l'hôpital, ensuite je suis rentrée à la maison, je n'avais pas besoin de soins particuliers, j'étais en forme physique. Mon cœur était éteint. Et puis j'avais mes deux autres enfants à m'occuper, avant de retourner au Kazakhstan, où je travaillais et j'habitais à cette époque-là. J'ai repris le travail trois semaines après. Je ne voulais pas rester à pleurer chez moi.


Quels mots as-tu trouvés pour annoncer le décès de David aux aînés ?


C'est ce que je raconte dans mon livre. Je leur ai dit que le bébé était malade et qu'il allait rejoindre les étoiles, pour devenir de la poussière brillante, toute brillante ... Mes deux autres fils avaient seulement 3 ans et 4 ans quand cela était arrivé. J'ai évité certains détails...




A propos de ton livre


Pourquoi as-tu voulu écrire ton histoire ?


Pour partager mon histoire avec d'autres parents, qui comme moi, ont perdu un enfant. Lorsque j'avais 13 ans, la prof de biologie m'avait demandé de préparer un exposé sur l'avortement. Je ne pensais pas y avoir recours 35 ans plus tard. J'aborde donc le sujet dans mon livre, mais je ne veux pas rentrer dans la polémique "pour" ou "contre".


J'ai aussi écrit ce livre pour qu'il reste, par mes mots, une trace de notre enfant parti trop tôt.


Combien de temps as-tu consacré à l'écriture de ton livre? A-t-il été facile de trouver un éditeur? Qu'as-tu ressenti à la publication de ton témoignage?

J'ai mis deux ans à écrire ce livre, par fragments, par notes, par flash. Je me levais la nuit pour écrire certaines phrases. Ensuite, j'ai reconstitué mon histoire de manière chronologique, réfléchi à chaque mot, à chaque phrase. Je voulais en faire un récit littéraire, pas une plainte, mais quelque chose de beau, de poétique, un message d'amour pour mon enfant mais aussi pour mes autres fils. Il y a eu ensuite le temps de la correction du texte avec la maison d'édition.


L'écriture de ce texte a été un plaisir, non pas pour purger un évènement dramatique ou faire ma psychothérapie par l'écriture, mais pour transformer ce drame familial en quelque chose d'esthétique: un texte d'amour. J'ai consacré du temps et du soin à chaque passage.


Que souhaites-tu dire à tes lecteurs ?


J'espère que mes mots feront écho à leur histoire. Chaque histoire est personnelle, mais l'amour et la perte sont universels. Certaines mamans m'ont écrit, à la lecture de ce livre. Elles ont toutes retrouvé un bout de leur vécu, de leurs sentiments, de leur parcours personnel.



A propos du deuil périnatal


Quel est le souvenir le plus douloureux de ton parcours de mamange ? Quel est le souvenir le plus doux que tu gardes de ton fils ?


La "négociation" avec l'équipe médicale pour obtenir une IMG. Le processus n'est pas "automatique". Mon cas est passé en commission médicale. J'avais l'impression de devoir me justifier, c'était insupportable. L'enfant bougeait en moi. Je ne comprenais pas pourquoi la décision n'était pas prise plus vite.


Le plus beau moment, c'est la chaleur de cet enfant contre moi, à peine né, il était tiède, tout doux. Et puis aussi la grossesse, l'annonce du bébé par la gynécologue qui me suivait.

Quand le bébé est né sans vie, je n'ai pas pu le tenir longtemps, c'était trop difficile pour moi. Un autre beau souvenir, c'est lorsque mes deux autres fils parlent de David ou du bébé. Ils ne l'ont pas oublié. Lorsque nous entrons dans une église, souvent, ils me demandent d'allumer un cierge pour lui. Cela m'émeut beaucoup. Je le raconte dans mon récit. L'enfant est encore parmi nous.


Comment réussis-tu à faire vivre David au quotidien?

J'ai fait faire une icône du roi David par une peintre russe et orthodoxe. L'icône est exposée dans notre salon. De temps en temps, elle me signale sa présence, l'enfant est avec moi, à travers cette icône.

L'enfant est inscrit dans notre livret de famille, comme "enfant né sans vie". Il sera toujours parmi nous d'un point de vue adlinistratif.


Penses-tu que le deuil périnatal est assez abordé ? A l’hôpital ? Dans les médias? Quelles sont les actions que tu aimerais voir se mettre en place ?


Lorsque j'étais étudiante, dans les années 1990, une loi a été votée. Elle proposait d'inscrire des enfants nés sans vie dans le livret de famille. Cela m'avait interpelé, mais je ne me sentais pas concernée. Des années plus tard, je suis reconnaissante que cette loi existe. Mon enfant est inscrit à l'état civil. Pour moi c'est un pas énorme dans la reconnaissance de ce drame et dans l'existence de mon enfant, le troisième, qui n'a pas pu vivre. Je pense que cela aide aussi beaucoup de parents.


Les médias abordent régulièrement cette thématique du deuil périnatal, il y a des émissions de radios sur ce sujet, mais je ne peux pas dire si cela suffit ou pas. En ce qui me concerne, à l'hôpital, j'ai été bien accompagnée. Il faut dire que j'ai été suivie dans une très grosse maternité parisienne de niveau 3. Je ne sais pas ce qu'il se passe ailleurs, où il y a moins de moyens. J'imagine que certaines femmes peuvent se sentir très démunie et très seule face à cette situation de perte de leur bébé.


Aujourd'hui, on trouve aussi des associations, des groupes de paroles à l'écoute des femmes et des familles qui vivent ce drame. Je pense qu'il y a déjà pas mal de choses, je n'ai pas d'avis sur la question. Lorsque cela m'est arrivé, j'étais en Asie centrale, je vivais loin de la France, donc je n'ai pas vraiment bénéficié de ces associations ni de ces aides.


Le mot de la fin


J'ai voulu mettre en mots mon histoire et donner vie à mon enfant qui n'est pas né. C'est ma marque personnelle, par l'écriture.



Un grand merci à Aude pour le temps accordé à cet entretien. On pense très fort à David.

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